Le problème avec le suprémacisme blanc, c’est qu’il est invisible tant qu’il n’est pas mis en évidence ou qu’on n’en a pas discuté ouvertement. Si vous n’avez toujours pas abordé ouvertement la question du suprémacisme blanc dans votre lieu de travail, c’est qu’il est à l’œuvre dans l’ombre, les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) qui font partie du personnel en assumant le fardeau pendant que d’autres en bénéficient. Ce n’est pas une question d’intention individuelle, c’est une question de structures et de systèmes qui continueront à fonctionner de la même manière s’ils ne sont pas examinés activement.
Trop souvent, les organisations abordent l’équité et l’inclusion comme si ces questions relevaient de la bienfaisance – elles offrent un soutien superficiel, mais ne changent pas les structures qui sont préjudiciables. C’est bien de vouloir soutenir le personnel PANDC, mais il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur ces personnes. En s’attachant à « aider » les employé.e.s PANDC plutôt qu’en analysant pourquoi ceux-ci ont besoin d’aide, les organisations renforcent l’idée selon laquelle le personnel concerné, et non pas le système en place, est à l’origine du problème. C’est la raison pour laquelle il existe un si grand nombre d’initiatives visant à « autonomiser » les employé.e.s PANDC, mais si peu visant à changer les structures de leadership dominées par les Blancs qui continuent à leur nuire.
Pour que le soutien aux employé.e.s PANDC soit efficace, il faut qu’il émane de la direction de l’organisation. Si les efforts sont entrepris par les cadres intermédiaires ou les chefs d’unités qui n’ont pas le pouvoir d’élaborer de nouvelles politiques ou d’opérer des changements structurels en ce qui concerne les pratiques organisationnelles d’embauche, de promotion et de maintien en poste, ces initiatives sont moins susceptibles d’être transformationnelles. Sans l’engagement de la part de la direction, aucun véritable changement ne peut avoir lieu et, bien injustement, il reviendra souvent aux employé.e.s PANDC eux-mêmes de lutter pour leur inclusion et leur bien-être. En pareil cas, toutes les tentatives visant à créer un lieu de travail équitable et inclusif seront infructueuses et susciteront plutôt de la méfiance et du ressentiment.
Le personnel autochtone a des besoins culturels particuliers que les organisations doivent connaître pour créer un environnement de travail positif et efficace. On ne compte plus les personnes autochtones qui quittent leurs fonctions peu de temps après s’être joints à des organisations, des conseils d’administration ou des projets dirigés par des personnes blanches en raison, très souvent, d’un décalage culturel dans les organisations qui ne tiennent pas compte de la façon dont les Autochtones travaillent et nouent des relations.
Il ne s’agit pas de leur accorder un traitement de faveur, mais bien de reconnaître que les employé.e.s autochtones peuvent avoir des responsabilités envers leurs communautés, telles que la participation à des cérémonies, le soutien à des événements familiaux ou de leur Nation autochtone ou encore l’observation de protocoles culturels qui ne cadrent pas avec les horaires de travail habituels. Les employé.e.s autochtones peuvent aussi ressentir une pression supplémentaire en tant que l’un.e des rares Autochtones de l’organisation, ce qui peut engendrer chez eux un sentiment d’isolement ou faire peser sur eux le fardeau d’être considérés comme une voix représentative de tous les points de vue autochtones.
Les organisations peuvent soutenir les employé.e.s autochtones en leur accordant des congés pour les pratiques culturelles, en créant un espace pour les approches relationnelles du travail et en favorisant un environnement où les connaissances et les expériences autochtones sont valorisées et non simplement considérées comme un atout. En plus d’être bénéfique pour le personnel autochtone, cette approche favorise une organisation plus saine et plus adaptable.
Certaines organisations proposent un fonds pour les cérémonies à l’intention de leurs employé.e.s autochtones, ce qui est une façon simple de leur témoigner respect et reconnaissance. Le fonds pour les cérémonies peut être utilisé pour les costumes, comme l’achat d’une jupe à rubans à porter lors d’une cérémonie de la suerie, pour les protocoles autochtones, comme l’achat de tissu ou de tabac devant être offert au ou à la cérémonialiste, ou pour les honoraires en espèces du ou de la cérémonialiste. Le fonds pour les cérémonies peut consister en une offre annuelle sous forme de congés payés ou d’un compte de dépenses de soins de santé.
Il est important de se rappeler qu’il n’existe pas de culture autochtone universelle. Les différences culturelles dans l’expérience autochtone au Canada sont nombreuses. Certains Autochtones ont été marqués par la rafle des années 1960 ou par d’autres politiques coloniales et n’ont peut-être pas un fort lien culturel avec leurs communautés d’origine. Ce peut être un aspect douloureux et complexe de l’identité d’une personne. Les gestionnaires d’embauche et les collègues de travail ne doivent donc pas faire de présomptions au sujet de leurs collègues autochtones, que ce soit en ce qui concerne leurs connaissances culturelles, leurs liens avec la communauté ou leurs attentes concernant la manière de représenter l’autochtonie.
La bienveillance et le respect sont essentiels pour que les employé.e.s autochtones puissent être eux-mêmes plutôt que de se sentir obligés d’agir selon des stéréotypes présumés. Le fait de laisser aux gens la possibilité de définir leurs propres identités, sans aucune attente ni aucun jugement, favorise un lieu de travail véritablement inclusif et positif pour tout le monde.
Tous les membres du personnel ont le droit de vivre et d’exprimer leur culture au travail. Le suprémacisme blanc se manifeste notamment par l’application d’une norme particulière, en général de nature non religieuse et relevant de la classe moyenne et de la race blanche, que l’on tient pour la norme « neutre ». Tout ce qui s’en écarte est souvent considéré comme différent, exotique, voire perturbateur. Cette culture de travail par défaut, que les employé.e.s noirs, autochtones et appartenant à d’autres groupes racialisés sont censés adopter, peut créer des environnements qui ne sont pas accueillants ou dans lesquels certaines personnes se sentent exclues.
Comment pouvez-vous créer un lieu de travail plus inclusif? En commençant d’abord par reconnaître que la situation actuelle n’est pas idéale. Reconnaissez que ce que l’on considère souvent comme un mode de travail « neutre » repose en fait sur des normes culturelles particulières. Plutôt que de vous complaire dans cette culture de travail par défaut, prenez du recul et essayez de voir votre lieu de travail sous un autre angle. Comment décririez-vous le fonctionnement de votre équipe à une personne d’une tout autre culture ou provenant d’un pays complètement différent?
Abordez l’embauche et le soutien d’employé.e.s PANDC, en particulier de personnes ayant un attachement culturel à leurs communautés, avec ce même état d’esprit. Reconnaissez que ces personnes ont des valeurs différentes, des styles de communication différents et des façons de travailler différentes susceptibles d’enrichir votre organisation et non de la perturber. L’inclusion ne consiste pas à intégrer les gens dans les systèmes existants; il s’agit plutôt, pour l’organisation, d’être disposée à s’adapter et à grandir en tant qu’équipe.
Les employeurs du secteur à but non lucratif accordent des congés pour Noël et d’autres jours fériés fixés par le gouvernement fédéral, mais ils devraient également accorder des congés pour les cérémonies communautaires de toutes les cultures. Il peut y avoir une plus grande interdépendance entre les communautés qui ont des ressources limitées, comparativement à la culture « canadienne » dominante, de sorte que les employé.e.s PANDC peuvent avoir plus d’obligations envers leur communauté que le personnel non PANDC. Les employeurs doivent en tenir compte dans leur réflexion sur l’embauche et le soutien d’employé.e.s PANDC.
Toute organisation qui a un personnel majoritairement blanc et qui souhaite se diversifier par un recrutement délibéré de personnes d’autres origines doit prendre en compte certains aspects importants. Tout d’abord, il faut éviter d’embaucher une seule personne d’une origine culturelle ou raciale particulière, surtout pour un poste subalterne, car cela peut conduire à l’isolement et à une pression accrue d’avoir à représenter l’ensemble de sa communauté. Envisagez plutôt des stratégies visant à embaucher plusieurs personnes à la fois afin de créer un sentiment d’appartenance et de soutien mutuel.
Une autre approche consiste à embaucher en priorité un.e dirigeant.e PANDC qui aura le pouvoir de former son équipe et d’influencer les prochaines décisions d’embauche. En plus de favoriser la représentativité, cette approche fait en sorte que les connaissances culturelles et l’expérience vécue se reflètent dans le leadership.
S’il n’est pas possible d’embaucher plusieurs employé.e.s et un.e haut.e dirigeant.e, mettez en place un solide système de soutien. Celui-ci pourrait comprendre l’accès à des mentor.e.s indépendants, de préférence des professionnel.le.s PANDC d’une autre organisation, d’une association professionnelle ou de la communauté des employé.e.s PANDC, qui pourront fournir des conseils et du soutien pendant les heures de travail. Veillez à officialiser ce mentorat, en prévoyant des contrôles réguliers au moyen, par exemple, de réunions hebdomadaires sur Zoom, et reconnaissez qu’il convient de rémunérer convenablement le temps et l’expertise des mentor.e.s.
La création d’un lieu de travail diversifié et inclusif n’est pas qu’une question de recrutement – il faut veiller à ce que les nouveaux employé.e.s se sentent soutenus, valorisés et habilités à s’épanouir. Faites preuve de créativité et d’ouverture d’esprit. Certaines organisations, par exemple, ont instauré un cercle hebdomadaire à participation volontaire où les membres du personnel de toutes les équipes de l’organisation peuvent se rassembler pour échanger ou simplement écouter, en dehors d’un contexte strictement professionnel. Ces rencontres hebdomadaires, sur Zoom ou en personne, peuvent soutenir les employé.e.s et favoriser le maintien en poste des membres du personnel issus de groupes en quête d’équité.
Les employé.e.s sont des personnes aux besoins complexes. Certes, le professionnalisme est important, mais le fait de leur proposer un espace sûr, exempt de pression, où ils peuvent se montrer tels qu’ils sont, peut grandement contribuer à leur bien-être mental et émotionnel. Ce sentiment de rapprochement et d’appartenance favorise un environnement de travail plus sain, mais aussi un meilleur rendement, car les employé.e.s se sentent plus enracinés, respectés et engagés dans leurs fonctions.
Le tort subtil causé par le suprémacisme blanc n’est jamais autant renforcé que dans les réunions d’une organisation. C’est à ces occasions que les normes culturelles se manifestent pleinement, des normes qui privilégient les styles de communication agressifs et dominateurs, isolant ainsi les personnes peu à l’aise d’intervenir avec force. Les réunions qui se déroulent comme des mêlées générales, où tout le monde parle en même temps, peuvent involontairement créer des environnements où les PANDC, et d’autres personnes aussi, préfèrent ne pas intervenir. Dans de nombreuses cultures autochtones et non occidentales, parler en même temps que les autres est considéré comme un manque de respect, et ne prendre la parole que lorsque c’est son tour est un signe de respect et de politesse.
À l’inverse, les réunions à la structure rigide, où la plupart des personnes présentes ne s’expriment pas par peur ou par gêne, peuvent également être aliénantes. Les deux extrêmes – chaos et contrôle excessif – peuvent nuire à l’inclusion et faire en sorte que les employé.e.s PANDC n’ont pas l’impression qu’on se soucie de leur présence et qu’on les écoute.
Si vous voulez rendre vos réunions plus inclusives, structurez-les de manière réfléchie. Veillez à ce que tout le monde puisse intervenir. Le cercle de discussion est une approche efficace : dans ce format, il est clair qu’une seule personne à la fois parle et que tout le monde a la possibilité de s’exprimer. Ce simple changement peut transformer la dynamique de vos réunions – et, au fil du temps, toute votre organisation –, en plus de favoriser un respect plus profond, une meilleure écoute active et une véritable collaboration.
Tout ce qui précède s’applique aussi aux membres du conseil d’administration, mais il y a d’autres facteurs à prendre en considération dans le cas des administrateur.trice.s. Dans les organismes à but non lucratif non autochtones, il est plus probable que le conseil d’administration ne compte qu’un.e seul.e Autochtone. Si tel est le cas, voici comment vous pouvez changer les choses et offrir un espace inclusif :
Les gestionnaires autochtones peuvent difficilement s’épanouir dans un système où ils sont souvent la seule personne autochtone de l’organisation, ou dans lequel son équipe est la seule à compter du personnel autochtone chargé de gérer les questions autochtones. Une telle situation peut engendrer de l’isolement et reproduire involontairement une dynamique de pouvoir colonial, semblable à celle qui est inscrite dans la Loi sur les Indiens, à savoir que le pouvoir de décision et la gestion des ressources restent entre les mains d’une société mère ou d’une équipe de direction, tandis que l’équipe autochtone est laissée à elle-même pour faire le travail sans réelle autorité ou influence. Ces préjudices structurels sont souvent perpétués par les cadres supérieurs et les conseils d’administration, même sans le vouloir.
Pour que les gestionnaires autochtones aient du succès, ils doivent pouvoir compter sur un réel soutien culturel émanant de la haute direction. Ce soutien prend la forme de politiques et de ressources, mais aussi d’un engagement sincère à modifier la dynamique du pouvoir, à créer des possibilités de leadership autochtone dans l’ensemble de l’organisation et à veiller à ce que la prise de décision se fasse en commun et ne soit pas confiée exclusivement à des personnes non autochtones.
En outre, les organisations doivent se garder de faire étalage de leur « bon travail » dans les communautés autochtones, alors qu’elles réduisent à l’état de symbole leur équipe responsable de ce travail. Dans le climat actuel de réconciliation performative, on voit souvent des organisations se vanter publiquement de leur alliance avec des peuples autochtones, alors même qu’elles causent du tort au personnel et aux communautés autochtones qu’elles prétendent soutenir. Une véritable réconciliation est plus qu’une simple vision : elle exige une responsabilisation, une remise en question en interne et un engagement en faveur d’un changement structurel.
Pour soutenir les membres du conseil d’administration, leurs employé.e.s et leurs gestionnaires PANDC, les organisations doivent changer les systèmes en place. Il ne s’agit pas de « réparer » les PANDC (ou leurs communautés), mais de changer les structures ancrées dans le suprémacisme blanc. Une véritable transformation au sein des organisations passe par l’autoréflexion, la responsabilisation et la volonté de remettre en cause le statu quo.
Article écrit par Eden Fineday, éditrice d’Indiginews